Chère Méditerranée

Je t’écris de Marseille pour tous tes phares alentours.
Je suis apaisé, J’ai ma cantate sous le front
J’ai une femme qui porte une jarre d’eau sur sa tête et un enfant sur son dos
J’ai un enfant pêcheur, une amphore oubliée qui chante tes secrets
J’ai une main qui cueille une rose des sables, un vieillard qui récolte des étoiles de mer, des peuples à pieds nus qui accourent pour les y laver, qui forgent le fer, arrachent l’arbre à faire du papier, inventent les bateaux pour traverser ton dos.
J’ai le cri silencieux de ta méditation profonde où s’entrelace au fond des bateaux coulés le chant des poissons éternels, celui dont nous héritons et le nôtre commun.
J’ai l’algue, j’ai la vague, j’ai le vent qui caresse ce qu’on appelle ton bassin
J’ai le fil de la rime et du chant
J’ai l’amitié du musicien qui posera des notes sur tes vagues
J’ai le « dansé » de ce tourbillon bleu
J’ai au travers d’un chagrin passager l’envie de te chanter parce que tu ressembles à celle qui s’éloigne sans me quitter des yeux.

ALLAIN

Une œuvre musicale pour rapprocher les deux rives

« Une mer sans propriétaire » : tel est, résumé par ses créateurs, le sujet de la Cantate pour un cœur bleu, créée à Fez il y a trois ans à l’initiative du Ministère de la Culture français. Un projet ambitieux, qui relève le délicat pari de n’évoquer cette région, parfois conflictuelle, qu’en des termes universels et rassembleurs. Retour sur l’œuvre, aujourd’hui éditée sur disque, avec son compositeur Romain Didier, également interprète principal auprès d’Enzo Enzo.

Lorsqu’en 2005, Gérard Authelain propose l’idée d’une Cantate en hommage à la Méditerranée pour le Festival des Musiques Sacrées de Fez, son intention n’a rien de commémoratif. Cet ancien formateur de musiciens rêve depuis longtemps d’un projet musical susceptible de rapprocher les jeunes musiciens des deux rives.

Il choisit alors deux de ses amis, Romain Didier et Allain Leprest, respectivement compositeur et auteur respecté et connu pour son engagement. « Il fallait créer une œuvre pour un festival sacré, sans parler explicitement de religion, et alors même qu’Allain n’est pas réputé pour être un auteur religieux » explique Romain Didier.

Une autre difficulté se pose alors : comment parler de cette région du globe tiraillée par des siècles de conflits ? « Le but était de parler de la Méditerranée avec tout ce qui peut rassembler plutôt que diviser, imaginer ce qu’il y a d’amour, de partage des savoirs au fond de cette eau. » Très vite, le travail à quatre mains de Leprest et Didier porte ses fruits, grâce à une entente de longue date et la réussite de leur précédent conte musical Pantin Pantine en 1997. « Avec Allain, nous prenons du plaisir à travailler de table à table, sans plan de travail préétabli. Et puis c’est un grand auteur de chansons, doué d’un instinct pour parler des choses en les rendant universelles. »

Recueil de chansons sans fil narratif précis, la Cantate se présente comme une œuvre symbolique, laissant libre champ à l’interprétation. « Cela aurait pu être une histoire avec un homme et une femme des deux rives. Là, on ne sait rien des deux narrateurs et des relations qui les unissent. Rien n’est fixé dans le temps, cela rend l’œuvre indémodable. »

Musicalement, les références à la musique arabe sont drapées de la même pudeur : « Je ne suis pas un spécialiste de musique arabe, explique-t-il, j’ai simplement laissé resurgir sous ma plume des fantasmes d’Orient. A part quelques percussions et des emprunts aux gammes modales arabes, j’ai préféré m’en tenir aux outils occidentaux. »

Laisser une trace dans les esprits

D’abord créée avec succès au festival de Fez en 2006 autour de Romain Didier, Enzo Enzo et d’un chœur franco-marocain, l’enregistrement de la Cantate aboutit trois ans plus tard avec le concours de l’acteur Jean-Louis Trintignant, déjà présent sur Pantin Pantine : « Nous avions rajouté des textes de liaison entre les chansons pour l’album et il est apparu évident qu’il en serait le narrateur. »

Romain Didier le reconnaît : le disque est « un OVNI musical, un peu difficile », mais lui est convaincu qu’ « il laissera de jolies traces » : « Certes, c’est une autre écoute que ce à quoi sont habitués les jeunes d’ici et de là-bas. Mais c’est un travail sans concessions marchandes, et il n’y a pas toujours besoin de comprendre le sens d’une œuvre pour qu’elle fasse son chemin dans les esprits. »

Copié du site RFI Musique : https://musique.rfi.fr/musique/20090903-cantate-coeur-bleu